Jeanne Morisseau par Anne-Cécile Causse - 26/03/2023
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Jeanne Morisseau n’a jamais cessé de relier la langue française la plus rare à la musique folk-rock anglo-saxonne. On chérit le répertoire de Jeanne Morisseau, qui au fil de ses disques explore, avec un talent aussi immense que discret, un folk en français, dont la poésie et la profondeur rivalisent avec les mondes de Patti Smith. Comme cette dernière, Jeanne Morisseau est une artiste totale, écrivaine, aquarelliste, poète.

Ce foisonnement créatif atteint dans Les battements d'ailes une sorte d'acmé. Tout y semble réunit pour que le disque se pose comme une évidence, presque comme un miracle d'élégance et de grâce.

Aux côtés, essentiellement, du guitariste Christophe Jouanno, comme l'homme-orchestre de ce voyage extatique, Jeanne Morisseau a pu laisser son univers se déployer dans toute sa dimension, dans toute sa singularité également. Sa poésie, d'un classicisme intemporel, est portée par des musiques somptueuses, mélodies bouleversantes à la finesse désarmante.

Rehaussées, sur quelques titres, par les cordes de guitares de Philippe Thiphaine - Héliogabale - et par l'intervention de Jean-Charles Versari - pour l'enregistrement des voix, les chansons ont effectivement la délicatesse et le caractère éthéré d'un battement d'aile. On a rarement entendu musique française aussi poétique et chargé d'une telle émotion contenue. La guitare électrique de Christophe Jouanno tresse des lignes mélodiques sidérantes de pureté, quand la voix de Jeanne Morisseau, à la sobriété et chaleur ensorcelantes, offre des textes à la beauté touchante au possible. Des textes où règnent l'amour, la mort, la transcendance, la pénombre et la lumière.

Si le disque a clairement la stature d'un futur classique, parmi les plus beaux disques de folk jamais enregistré ici, il n'est pas figé dans un matériau prestigieux mais trop attendu. Le génie du disque réside aussi dans sa capacité à défricher des terres discrètement novatrices. Il tutoie pratiquement d'un bout à l'autre les sommets musicaux, et littéraires, des œuvres les plus essentielles. On pense notamment à celles de Robert Wyatt. Dans cette volonté de porter le folk le plus loin possible de ses territoires habituels.

Ce disque intense, mélancolique, à l'étrange et renversante esthétique, place Jeanne Morisseau au cœur d'un folk français à la fois sans âge et totalement hors norme.

Yan Kouton — Indiepoprock