Dernière pensée

Le 28 mai 2007, dans la nuit

Chronique 4 : Les carnets d’Adeline

Eric Signor


4h01

Merci, Jeanne, pour ta confiance à cent pour cent. Je t'accorde cette même confiance et c'est pour cela que je me permets de t'adresser des ébauches chaotiques. Je sais que tu peux lire l'oeuvre à venir à travers quelques phrases que hache à plaisir mon obsolète minitel. Les carnets d'Adeline sont le centre vital de la trilogie commencée avec ''Les Délits d'Adeline''. Poursuivie avec ''Les Liturgies de la Chair''. « Les Délits d'Adeline » sont un cycle de chansons, parfaitement lisible par un large public. Un projet hérité de Gainsbourg, mais qui tente d'aller plus loin. Je travaille beaucoup sur ce projet, ces jours présents, pour tenter de le rendre concis. Je réarrange les équilibres instrumentaux en vue d'une maquette démarchable. Je veux faire des Délits, une arme, une clef. Il me faut trancher, parfaire, abraser, sacrifier. Ma part d'artisan travaille à cela avec obsession. ''Les Liturgies de la Chair'', c'est, à mon sens, mon oeuvre majeure à ce jour. Mais c'est une compo difficile, une oeuvre pour quelques-uns. Par-delà son écriture musicale, qui synthétise mes recherches, toutes mes aventures en musique, elle est la confession d'un personnage sensuel, émouvant, désarmant. Quand Adeline, sur une musique dépouillée de tous ses oripeaux, dit : ''J'avais marché dans les jardins suspendus, j'avais fait l'amour avec la part diabolique d'un ange, après cela, comment retrouver les chemins de la terre, les saisons, les habitudes ? Comment rendre l'amour à tous ceux qui m'aimaient, qui avaient tremblé pour moi. Les voix familières étaient devenues pour moi d'indéchiffrables complaintes, j'étais perdue...''. Il arrive que l'émotion me vienne. Quand à la fin du récit, Adeline se retrouve devant les résurgences : ''J'ai rejoins la garrigue, des cris me guident vers les résurgences, c'est bien. Je n'ai pas peur, Chaman, c'est plus joli que les fanfares des fêtes ridicules. Cela se mêle à tous les autres chants de la nuit : Les rossignols, les chevêches, les spirales douces du vent dans les buissons, juste au rebord des abîmes... Tout est beau, la lune est pleine, un ange s'est posé pour réparer ses ailes et faire provision de douleur... ''Là, se mêlent, avec douceur, musique et poésie''. Adeline se transfigure dans la dignité de sa douleur : ''Mais chut, ils sont là...''.

Je ne pense pas qu'Adeline soit une salope. Je pense, c'est la plus belle, la plus sublime des amoureuses, émouvante, extatique, dans le péril de sa douleur.

4h21

Apres un cycle de chansons qui est comme un épiderme (Les Délits d'Adeline), je creuse un peu plus profond (Les Liturgies de la Chair). Il était nécessaire d'aller au plus réel d'Adeline et de mettre en oeuvre le projet des ''carnets''. Ce n'est pas pour rien que je me suis remis aux images : Boggio, Akasha, Rêve requiem... Le mouvement 3 des aventures d'Ad. prendra, certes, la forme d'un roman, mais il est destiné à être porté par l'image. Le texte seul ne me convient pas. Le texte et la musique, je l'ai déja fait. La polyphonie des voies, la musique, l'image sont convoquées, en attendant la danse, pour que naisse le poème intégral. Puisant dans la matrice du cinéma primordial, celui d'avant Griffith... Puisant dans l'exaltation du présent technologique… Puisant dans l'incroyable force d'incarnation de nos rêves, je ferai naître l'indispensable feu. Bisous. Eric.



Le 26 mai 2007, dans la nuit

Chronique 3 : Conseil

Eric Signor


3h02

Ils planent dans l'espace comme les amoureux de Chagall, des cloches sonnent au loin, des rumeurs indistinctes du monde d'en bas, si petit. You are born to be fucked in your ass, lui dit-il simplement. I am born to fuck with a devil, répond-elle. I will fuck your love. Never, dit-elle avant de crier… Tout en volant vers les étoiles, je sombrai. Fallait-il mourir pour atteindre l'Eden ?

- Tu es blanche, ma fille, et les cernes de tes yeux sont si profondes...

- C'est à cause du voyageur qui m'entraîne, le passeur, le Stalker de la zone.

- Tes yeux sont fixes, on ne sait plus où ils regardent…

- C'est parce que je ne peux formuler l'histoire de ma chair...

Je suis sale, si sale. Je suis une terre souillée par toutes les pluies organiques, orgasmiques... Mais s'agit-il de la chair encore ?

3h13

Objet : conseil. Ma Chère Jeanne, faut-il que je poursuive l'écriture de ce texte ou non ? Quelques extraits : La terre desséchée se gorgeait de toutes mes pluies. Pluies d'or et de cyprine et celles, plus secrètes, qui sourdaient de mon âme. Mes parois abrasées révélaient des veines de diamants. Des fresques constellaires illuminaient le sale et sombre labyrinthe. Il disait : '' Tu es une fleur qui s'épanouit dans les tempêtes. Tu plonges tes racines dans l'abyssal du réel ''. Il disait : '' Tu es une vivante. Je t'enseignerai des choses dont on s'éloigne un jour ''. Il m'a enseignée la poésie de la baise. De tout mon cul fais-moi jaillir comme une étoile dans le nadir. ''Les hommes ont déplacé les choses. Toutes les choses. En les déplaçant, ils en ont cassées beaucoup. Il faut des poètes pour réparer le monde''. ''Si quelque chose reste de nous, ce sera notre transparence. L'opacité s'effacera. Dans l'océan-mère qui lui offrit corps. Ma prison n'a qu'un barreau qui s'enracine au plus profond de mon être. Je suis restée vierge longtemps à cause du Chaman qui m'a appris de mauvaises manières. C'était fascinant et jouissif d'être une femme et pucelle en même temps. Si je suis comme je suis, c'est parce que je suis née à un moment où Dieu n'existait pas encore. Il y a toujours un peu de douceur dans ta violence, dans ta violence et tant de violence dans ta douceur. Ralentis !! J'ai une vue magnifique sur l'amour ''.

4h08

''Petite fille, profite de tes heures, de leur splendeur, de la gravité d'être, de la douleur de céder à des rêves pervers. Profite de mes vices qui sont peut-être des vertus qui cheminent en secret. Dieu nous convoque pour voir l'immense parodie où il n'existe pas. L'amour absent... L'amour absent dans le secret des cœurs quand se fait la violence d'être sans lui. Des aurores, des crépuscules, s'abattent sur les rivages comme des millions d'oiseaux. Avant la fin des fins, j'aimerais encore chanter. - Tu sais, Adeline, Dieu voit tout, non du haut d'une tour, non du dehors. Dieu est dedans, il vit le monde du dedans : Joies, souffrances, louanges, malédictions, orgasmes. Toutes les sensations sont les siennes, puisqu'il est l'inépuisable racine de nos êtres. L'au-delà est dedans. Dieu contient toutes choses du dedans. Il contient ce qui existe et ce qui n'existe pas, ce qui jubile et ce qui pleure, ce qui s'épanouit, se flétrit, ce qui danse ou se tient immobile. Prends ta vie dans tes bras, Adeline, pas pour la bercer avec des chants de mélancolie, mais pour la faire danser''.

Ma Chère Jeanne, je souhaitais te donner un aperçu des carnets d'Ad. Je ne t'ai pas livré les pages les plus crues, ni les plus ardemment mystiques, tout est question d'équilibre. C'est une oeuvrette qui chemine et se construit pas après pas. Je t'embrasse. A tout bientôt ! Eric.



A l’aube, le 12 mai 2007

Chronique 2 : « Donne envie »

Pascale Jeanne Morisseau


Victor Hugo n’avait pas le traitement de texte. C’est sa femme et sa maîtresse officielle, Juliette Drouet, qui recopiaient ses textes. Il paraît qu’il avait une écriture atroce. Ce type a quand même écrit, entre autres choses, « Les misérables », « Notre Dame de Paris », et deux, ou trois ou quatre volumes (en fait, je n’en sais rien) très denses de poésie, avec des feuilles épaisses comme des feuilles de papier à cigarette. Je ne suis pas « spécialiste », comme s’amuse à le dire la délicieuse poétesse Carla Bruni. Ceux-là : qu’ils parlent ! L’idée, c’est que chacun donne l’envie, à sa façon… Simplement, à la fin de sa vie, Victor avait fait installer un pupitre dans sa chambre. Il écrivait debout parce qu’il ne pouvait plus écrire assis. J’ai vu ça dans sa maison-musée, place des Vosges… C’est qu’à la fin de sa vie, il avait très mal au dos… Ca ne l’empêchait pas d’écrire. Mais son lit garde quand même une drôle de forme…


Mais saviez-vous que les plus grands génies de nos siècles passés… Ca fout le bourdon quand on se dit que ça, remonte à l’antiquité. Pluton – non, Platon ! Platon n’a pas vécu au moyen âge, et il ne faut pas confondre Roland Barthes avec Fabien Barthez. La culture, c’est quelque chose ! Les dictionnaires existent pour vous éclairer : les gros Robert qui font marrer tout le monde, les Larousse illustrés qui vous montrent l’appareil génital de l’homme et de la femme (normal que l’enfant s’interroge sur ces mystères…), les dictionnaires de rimes, de synonymes, d’étymologie du français, sans parler de tous les dictionnaires bilingues, trilingues… Le monde est vaste, le monde est grand ! Nous avons une responsabilité envers lui… Avez-vous vu, par exemple, ce film sublime : « Si le vent soulève les sables » ? Le film vous dira l’errance du monde, ou comment une famille africaine cherche à trouver une terre où il y a de l’eau, et commence un exode insensé (la sécheresse avance, vous savez… Avez-vous vu l’indispensable « La vérité qui dérange » ?), au milieu de la corruption – excusez-moi du mot – « dégueulasse », qui fait qu’un homme perd sa femme, à cause de fausses indications délivrées par un soldat, un homme au pouvoir, corrompu jusqu’à l’os, et capable de faire basculer les vies dans l’horreur, ou la mort, sur un coup de tête, arbitrairement. Juste comme ça : pour une chèvre. En effet, avec le plan erroné qu’il donne à notre père de famille – mais pourquoi, comment peut-on agir ainsi ? – il conduit toute notre petite famille dans le désert, jusqu’à l’en faire crever. Oui, l’enfer ! Crevez ! L’homme perd sa femme, des suites d’une hémorragie, et du manque d’eau. Au bout d’un temps, on ne les voit plus manger… Le fils aîné est kidnappé par les « rebelles ». Dans le film, il y en a plusieurs. Ils se déplacent en bande et sont souvent très agressifs. Le plus jeune des fils est tué par l’un d’eux. Absolument pour rien. Ou bien non : par sadisme… Cela arrive après que la petite fille (que le père avait manqué « d’étouffer » - pratique apparemment très courante dans certains pays d’Afrique frappés par la sécheresse- à la naissance parce qu’elle constituait une « autre bouche » à nourrir) ait couru, joyeuse, dans un champ de mines, pour tester le danger et permettre au camion des rebelles de poursuivre sa route. C’est après qu’un des rebelles tue le petit garçon…


Ce film tue. Le voir. Voir les films, lire les livres appropriés… Faire des listes de tout. L’art, la nature… De tout ce que l’on se doit de vivre, de voir, d’écouter pour se « laver » la tête, via les cinq sens… C’est bien réel, ça. SENTEZ ET VOUS SAUREZ ! Parlez-en à vos amis, vos frères. N’ayez plus peur du mot. Là, à l’heure où je vous écris, le soleil a montré son nez. Ca veut dire que je ne me suis pas couchée. Ca fait au moins cinq jours que je me couche à l’aube. C’est un idéal fort : j’éveille et je réveille. Autre bannière de mai. Ou bannières de moi, comme vous voudrez. Je ne sais absolument pas comment je tiens. Et même si Elise me dit : « Mais mais mais… repos sergent ! » (imaginez Elise me dire ça ! Si vous connaissez son énergie, et son hyperactivité, vous allez sourire, c’est sûr, ou être surpris) je ne peux absolument pas m’arrêter. J’appelle ça les ordres de l’O2là. Mais, si, quand même, j’ai une petite idée de comment je tiens : le sport une fois par jour, si je le peux… Le volley-ball, la piscine quand elle est ouverte au public, courir pour atteindre un cinéma ou un rendez-vous – mais, mes sacs sont trop lourds à présent… Hier, j’ai fait l’inventaire. Régine me regardait sortir les objets un à un… Deux harmonicas (E low, D), un accordeur, les cartes postales de Jacques des deux gars en colère, le support en métal pour l’harmonica (voir comment fait Dylan dans ses vidéos), des disques au cas où il y aurait quelqu’un de curieux de ma culture, des poèmes, des bons de commande, une paire de jumelles, mais des médiators dans l’étui bleu de l’harmonica D – un blues band… mous et rigides suivant le flux de la musique, un tampon avec mon nom et adresse pour poster vite et bien, une flûte à bec, au cas où, les courriers du jour… Je pense à Jean-Paul et à Loïc, les gars de Studio Plus, et je précise : j’ai encore une autre tonalité… Marine band (ça fait rire, cette marque !). Un Fa dièse et un Mi grave. N’ai-je pas « avalé un harmonica » sur l’enregistrement de « Relève-toi, réveille-toi » ? Trop de sève, d’ardeur, vous savez peut-être… J’étais malheureuse d’abandonner mon Larousse de poche – celui que j’ai trouvé dans une poubelle -, les « Lettera amorosa » de René Char, avec les illustrations de Georges Braque et de Jean Arp (un cadeau de Pascale pour mon anniversaire) et la fameuse quête de joie, que mon propre album m’a donnée envie de découvrir. C’est drôle ça… Mais, vraiment le sac était trop lourd. Au bout d’un moment, les lanières craquent. Les lanières peut-être, mais pas les bannières…


Je pourrais écrire – ou plutôt – parler des heures, comme ça, vous savez. C’est totalement effrayant. Mais, ça ne sert à rien si vous ne lisez pas. Si vous ne voyez pas. Si vous n’appelez pas. Pensez à vos réseaux de gens-Jean. Parlez, communiquez. Soyez gentils à l’égard des autres, de tous les autres. Parce que vos amis, vos frères, vous savez que l’amour les anime. Vous les aimez. C’est naturel. Les partisans peuvent bien mourir pour une cause. Sommes-nous prêts à aller jusque-là ? N’allons-nous pas mourir de toute façon ? Je vous le dis : je m’engage. « A fond les ballons » comme Gilles, avait coutume de dire… Je peux et même, je veux mourir pour ça. François Villon (lisez Jean Theulé) n’a pas eu peur. Son problème : François n’était pas d’accord. Ca ne rigolait pas à l’époque en France. On torturait, emprisonnait, brûlait vif (Villon serait né le jour où Jeanne d’Arc a été brûlée), bouillait les gens dans des chaudrons, ensevelissait vivant sous la terre, pendait, écartelait, empalait, marquait le « dangereux », le « traître », « l’héritique »… au fer rouge sur le front… Et j’en passe… C’était avant que Victor Hugo ne se batte contre la peine de mort ! Alors, je suis dans cette lignée, une sorte d’héritière un peu bizarre, c’est vrai. Mais, franchement, je vous le dis : je me fous des conséquences… Comme Ségolène, j’ai envie de dire « Je suis une femme libre ! », car je le suis, ou désire l’être encore plus. Mais, Rimbaud ne le disait-il pas ? Sa façon était séduisante. Ecoutez donc les messages que vous adressent les autres… Il est 7h30 du matin… Ecoutez les autres…


Datons ! Datons tout ce que nous faisons – parce que nous sommes les acteurs de l’histoire qui s’écrit et que nous avons décidé de faire l’amour. De faire l’amour ? Oh oui ! Oui ! Et elle l’a dit aussi, ça : « Aimons-nous les uns les autres ! » dans son discours historique à Charletty. Jane B. exultait : « Je suis une immigrée… Il est des causes pour lesquelles on peut mourir ! » (ou quelque chose comme ça). Et, moi, c’était l’évidence : je me retrouvais sous cette bannière-là. Tandis que Sapho se trouva être la deuxième personne à serrer la main de Ségolène. Sapho – ambassadrice assez officielle de la poésie depuis de nombreuses années ; n’a-t-elle pas mis en musique « Le dormeur du val » de mon cher Rimbaud ? J’avais – merde, ça me vieillit à mort, sans compter que les dates, les chiffres et moi, ça fait 3 ! – mais, je devais bien avoir 17 ans… C’est sûr, maintenant, je me souviens : j’avais 17 ans, comme dans son poème « Roman ». Hé, c’est sur mon album – le volet I ! où Arthur rencontre Patrice.


Maintenant le jour est là. Je n’ai pas dormi cette nuit encore… Alors, vous, réveillez-vous ! Faites cela pour moi. « En mémoire de moi » disait le Christ. Ne pensez pas « politique », pensez « poétique ». C’est franchement plus frais. Et vous savez quoi ? Il y a des gens qui sentent avant, et qui pensent comme moi. On les appelle des visionnaires. Ils savent à l’avance. Mais, s’il vous plaît, ne faites pas de moi un trafiquant d’arme ou un type en exil sur une île anglo-saxonne pendant 13 ans, parce que je ne vais pas dans le sens du pouvoir gouvernant. D’ailleurs, vous avez noté qu’il y a une deuxième étape décisive en juin prochain ?


Alors, oui, je vais dans l’autre sens, qui n’est pas celui du courant. C’est difficile, mais courageux… Comprenez-le. Assurez-moi de votre compassion. Je fais cela pour vous. J’aimerais tellement dormir, me reposer, penser à moi un peu… Si vous saviez… Mais, j’œuvre pour l’idéal de Marcel : la nature et la culture. Je songe à faire la reprise de Bob Dylan « Blowing in the wind ». Parce que, si vous voulez mon avis : Dylan n’est pas content. Patti Smith non plus. Je joue de l’harmonica, vous savez. Vocalement, j’étais idéaliste. Je ne me connaissais pas à fond. Ca s’explique. Alors, l’harmonica me permettait d’exprimer des choses que je ne savais pas – encore – exprimer à travers ma voix… Jouer de l’harmonica, c’était plus simple que de chanter. Ca fonctionnait bien auprès des gens. Ca faisait américain au temps où l’Amérique était à la mode – avant la honte, quoi !


Joni Mitchell (qui, entre nous, a choisi la peinture à la musique, après être passé du folk au jazz presque lyrique) et Neil Young constituaient pour moi, et pendant longtemps, une référence absolue… Je me sentais dans cette lignée de chanteurs. Après, j’eus la chance de varier les influences. Ca fait de drôles de mélange. C’est comme des couleurs. Plus la palette est grande, plus la peinture est riche ! Mon credo depuis des années : décloisonnez ! Le blues, le jazz, le classique, le rock, la pop, la chanson française, merdique peut-être, étiquetée « commerciale », ou la chanson littéraire et poétique… C’est ça, la profusion, l’abondance, ce qu’il ne faut pas laisser tomber dans l’oubli ! Dans ce combat, moi, je n’ai rien à perdre, parce que je n’ai jamais rien gagné. Je vous le dis : mes souliers sont percés. Mes chemises blanches aussi. Fado, mon chat est pris d’une envie de vivre de temps en temps, et de se sentir exister. Alors, il s’excite un peu sur mes vêtements qui traînent sur le dos des chaises. Je n’avais qu’à ranger, après tout… Pour les souliers, c’est à force de marcher dans Paris. « Oh, Fado, tu exagères ! », mais il résiste à sa façon, et je ne le dispute jamais…


Fado est tout noir. Enfin, non… Comme l’avait remarqué Fabienne, vétérinaire fort sympathique, rencontrée sur un Paris-Toulon à Noël : « Il a un sous-poil gris ! C’est fou cette façon de voyager. J’ai vu le sac bouger. Mais, il est incroyablement calme ! ». Elle habitait la Picardie et m’a achetée un « T’es ma branche » pour l’offrir à son père malade. J’espère qu’il l’a aimé. Du coup, je lui ai offert une place dans mon taxi, direction : Le Pradet ! Se mourrait-il, son père ? J’avais envie de cela, le crier fort : « Faites en sorte de faire que nos pères ne meurent pas ! » (bien sûr, j’ai une pensée à Sara et son frère qui doivent organiser les obsèques de leur père défunt. Ils ne sont plus que tous les deux maintenant qu’il s’en est allé). Cet homme était un homme bien, cultivé. Oui, extrêmement lettré. Il aimait ma poésie… Mais reprenons : nos pères, nos mères, nos sœurs, nos frères, nos nièces, nos neveux, nos petits enfants… Il y a, c’est le rêve d’Elise, toute une génération à venir qui aime l’idée, l’idéal de l’éden… même si, et je parle en mon nom propre, il paraît fou. Et s’il paraît fou, c’est qu’il est fort… Fort veut dire « puissant ». Les poètes connaissent la puissance de Dieu. L’art est UN dans le ciel : les arts ne sont qu’un, à l’origine. C’est le directeur du Musée Guggenheim à New York qui l’a dit dans une conférence dans l’auditorium du Louvre en 2002. Ca m’a fait péter la tête. J’ai disjoncté vraiment, et vous savez pourquoi ? Parce que j’avais écrit la chanson « Rendez-vous au Louvre », en regardant un match de Rolland Garros à la télévision (du temps où je la regardais). J’écrivais en même temps « L’esprit qui oscillait » (voir pjm.com, les écrits). Tout est là. Alors, oui, il faut être fort. L’émotion, si vous voulez, va de la tragédie à la comédie. Et inversement, la comédie à la tragédie. Du rire aux larmes, et inversement, des larmes aux rires…


Cette idée fera son chemin : chacun son rythme, chacun sa manière… Donner l’envie, ça c’est intéressant ! Alors, moi à Fado, je lui ai souvent dit : « Fado, mon amour de chat, comme tu es beau ! Comme tu es gentil ! Mais si tu veux un jardin, pour monter, comme tu adores le faire dans l’arbre du jardin de Créteil, l’air de dire : « T’as vu ? Je monte plus haut que la dernière fois !!… », il faut prier davantage ! ». Il est si fier à ce moment-là, il faut le voir sur la branche de l’arbre ! Il veut juste me dire qu’il est encore allé plus haut cette fois-ci, tellement il est heureux de disposer d’un jardin ! En arrivant, toujours il se frotte dans les jambes de Catherine. Ma sœur et moi, nous pensons qu’il a une amoureuse. On l’appelle « Blanchette », parce qu’elle est toute blanche, et ressemble à la Duchesse des Aristochats…


Chronique 1 : Extrait du journal de Jeanne (extrait du livre pas encore en phase de relecture : « Maude, avant », du « Grand livre des gens qui aiment les gens qui aiment la vie). Les suites du 6 mai 2007.


Extrait du journal de Jeanne : « Ca y est. J’y suis. Je comprends. C’est comme une révélation. Les chansons partisanes, voilà la solution culturelle, séduisante. Elle pourra faire réfléchir le camp adverse. Et peut-être même l’emballer, lui faire changer de camp. Il s’agit du pouvoir des mots et de la musique mêlés. Je profite encore de ma liberté. J’ai encore le droit de parler, de chanter, de rire, de danser parce que j’y crois. Il fallait du temps pour convaincre. Mais, je prends le maquis. Je m’engage. Enfin, il y a quelque chose à défendre : un idéal républicain. Si j’avais seulement imaginé un jour que ces mots allaient devenir les miens. Je dois écrire ma lettre de soutien à la présidente choisie par mon cœur. Une lettre belle et envolée qui lui redonnera du courage. S’engager, c’est dire. Les mots vont circuler. Les mots d’espoir et de fraternité. « Il est encore temps de trouver d’autres armes, opposer la tendresse comme un acte de foi à ce qui te remue, te fait couler des larmes ». C’est vrai que les mots ont coulé tout seuls. J’avais déjà la musique. Il fallait mettre la couleur. Et j’avais fait ce rêve la veille de l’annonce de la défaite, qui était en fait, une vraie victoire. Je prenais mon cahier d’originaux de chansons et je le peignais. C’était un cahier aux pages rigides et lisses, de la qualité d’un Claire Fontaine, par exemple, et je venais d’écrire les mots de la résistance. La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe, ce genre de choses. La révolution était en marche. Et j’étais en première ligne. Ca ne me dérangeait pas : j’étais prête à mourir pour cette cause-là. Vraiment prête à mourir. Cette parole-là serait entendue. On allait me donner tous les moyens dont j’avais besoin, parce que je ne me trompais pas de camp. Je savais. Mon cœur me l’avait dit : c’est elle. Quand j’ai appris que la femme en blanc était admirative de Jeanne d’Arc, je sus que je ne m’étais pas trompée et que nous fonctionnions avec la même logique. D’ailleurs, ça s’ouvrait magiquement, parce que Daviel voulait me voir et que je lui explique tout. C’était pour demain ce premier rendez-vous. J’étais en position de force. Dans une position où j’allais pouvoir avoir une action directe sur le monde. C’était le moment. Dieu avait décidé ça depuis longtemps : voir comment il dessine l’avenir. Mais, toutes les étapes avaient été nécessaires. Ca devenait magique et c’était en quelque sorte surnaturel. Chacun avait sa tâche. Sa mission à accomplir, son rythme propre, les convictions intimes qu’il fallait absolument respecter. Daviel avec moi, je ne craignais plus rien. Je savais que j’allais le convaincre. Qu’il allait m’aider à asseoir ce projet fou de résistance : « Les chansons partisanes ». J’envoyais un message sympathisant aux sympathisants proches d’Elle. Cette intelligence serait entendue. J’avais essayé de joindre l’autre numéro, mais il était « récupéré ». C’était la voix du parti, mais le parti était en désaccord. Les hommes se montraient jaloux de cette femme. J’avais éprouvé le dégoût. Le pire, c’était le veilleur de nuit qui m’avait raccrochée au nez tellement nous étions en désaccord. Il ne comprenait pas mon langage. Elle avait tout prévu : un site officiel actif et positif où les idées des uns feraient la force des autres. J’avais survolé, mais la vidéo de Julie allait servir. Elle allait être entendu : « Ether sur terre » était un hymne à l’espoir très doux. C’était mon arme à moi. Accapella et juste après l’annonce de la défaite, quand tous les espoirs n’étaient plus permis, elle avait souri à son électorat. Non, aucune bourde, mais le système se révélait vicié de l’intérieur et je me rapprochais de ceux qui osaient encore véhiculer les idées de gauche. Il faudrait les joindre et les convaincre, mais je n’avais pas la carrure. Il me fallait une réelle organisation, des moyens, j’avais les mots, l’allant, le discours qui allaient avec, et j’avais le sentiment que ce message-là serait entendu. C’était que j’étais, sans doute parmi d’autres, un moyen de faire changer l’opinion. Un moyen sain, sans haine et sans colère. Il y avait de l’amour. Pas un engouement aveugle, non, c’était réfléchi. J’avais dit : je rentre en résistance, et j’étais réellement rentrée en résistance. La force de travail ne m’effrayait pas. Rien ne me muselait encore. On n’avait pas encore le moyen, dans le camp adverse, de me bâillonner. Et de toute façon, j’étais prête au pire. Le pire, je connaissais bien, quand on ne m’avait offert qu’une muselière, et ce, pendant combien d’années ! J’allais parler, et parce qu’il s’agissait d’intelligence, les mots allaient faire mouche. Et la toute petite voix qui n’arrivait jamais à se faire entendre, serait écoutée. Ce serait bien la première fois. On allait prendre soin de moi. J’en étais sûre. Derrière moi, toute une lignée de poètes, dans une pure tradition française, Hugo, Verlaine et Rimbaud qui disait tout ce qui lui pesait sur le cœur. C’était étonnant de ne pas avoir pensé à Charles. Mais, il était là aussi. Seulement, Hugo et Verlaine semblaient plus porter l’ardeur de mon idéal. Rimbaud avait tout dit, du temps où il n’était pas encore épuisé du pouvoir des mots, avant de se retirer, de changer de vie. Il me semblait aussi qu’il m’était possible de changer de lieu ce vie. De pays. Ce serait l’Angleterre, sans doute… Ma sœur m’avait assurée qu’elle garderait le chat si le besoin s’en faisait sentir. Comme c’était mon attache, ce chat que j’aime et que je trouve beau, avec sa façon qu’il a eu de me donner le goût de la gentillesse. Je lui dois tant. Bien sûr, je préfèrerai rester là, mais on ne sait pas où ni à quoi l’on s’expose quand on s’engage. L’autre avait parlé qu’il allait aider les petits, que personne ne serait laissé sur le bord du chemin, mais ces mots sonnaient creux, comme une campagne électorale. Comment embobiner les foules ? Il savait faire. C’était un manipulateur qui disait qu’il ne mentirait pas. Et dans son cas, c’était celui qui disait qu’il n’était pas qui y était. Je m’en foutais : au moins, j’avais trouvé un camp. On pouvait continuer d’exprimer. Il n’allait pas, au nom de la démocratie, faire des martyrs de gens comme moi, en les supprimant. Agir vite, c’était la clef. Et l’humanisme, qui ne voulait atteindre personne en particulier. C’était l’action blanche, transparente. Un truc simple : l’amour. Ca ne voulait pas être une atteinte personnelle, juste une crainte qui naîtrait dans l’âme et le cœur des gens, que je me devait d’exprimer. J’avais écrit : « Le phare géant », et ça voulait dire : « Le phare des gens ». La force, c’était les gens eux-mêmes, mais sans le doute, sans la déprime qui les accablaient si souvent. Mais, c’est un fait : les mots « imposture » et « forfaiture » avaient quand même été prononcés. On ne peut rien si un peuple chante. Si une organisation a le pouvoir de mettre en place ce plan de soutien, non, rien n’allait ternir ce chant. Au plus, il y aurait de grands artistes de droite, capables de donner l’autre son de cloche. La Marseillaise avait été dévoyée déjà. Auraient-ils assez de nerfs et d’inspiration pour faire naître des chants républicains aussi forts que les miens ? Oui, il y aurait d’autres chants. D’autres se réveillaient déjà. Ca faisait une ambiance de fin du monde. Où chaque sirène de police ou de pompier résonnait bizarrement à mon oreille. Dans le creux des petites et des grandes oreilles. Mais, j’avais la certitude que la clef de ma révélation au monde était liée à cette femme. J’allais rencontrer la femme en blanc. Pas maintenant, bien sûr. Chacun avait sa mission, son action propre, sa façon à lui de dire les choses. Je ne délirais pas. Il fallait juste des gens, en accord avec leurs convictions, qui s’engagent à leur tour. Ca allait aller. La révélation, je n’étais pas la seule à la ressentir au tréfonds de mon âme. Ces chants seraient, ou ces poèmes allaient foutre une merde extrême, et je sentais confusément que j’étais attendue. Un peu comme le poème de Patrice : « Mais entre les flaques de gel, je vis paraître une anémone, si transparente que personne n’avait entendu son appel. Son appel tout fait de lumière, comme dans les yeux féminins. L’étoile d’orient lointain, si transparente et douce et chère… ». Daviel avait répondu à mon appel. L’appel de la conviction. Tout était si électrique, même si tout semblait éteint. La France était littéralement coupée en deux. On ne savait pas qui était qui. Et j’avais dit : il y a ceux qui ont un « oui » sur le devant de leur tee-shirt, et les autres qui avaient inscrit « non », mais dans le dos. On ne se reconnaissait pas. Un sourire pouvait cacher un espoir, ou l’ombre d’une « victoire éclatante », ou bien l’espoir que tout commençait à peine. Une tête triste exprimait un désespoir, mais ça ne voulait rien dire non plus. Les gens à Paris tiraient toujours une de ces gueules… Par contre, le sourire, l’énergie, la pêche, ça voulait dire aussi qu’on était pas abattu, qu’on y croyait, qu’on allait faire, et j’avais fait. Je me devais d’être relayée dans mes moyens. On ne m’avait pas crue jusque-là. Pourtant il y avait des preuves. Le seul regret que j’avais, c’était d’avoir tout misé sur l’amour. Oui, je m’étais endormie. Mais, c’était l’heure où la révélation n’avait pas pu prendre sa place. Je m’étais laissée endormir, « gazer » comme les autres. Là, j’étais vivante. Je me sentais bien. J’avais une quête. Elle était concrète. Elle serait appuyée. Dans l’autre camp, on parlait d’immobilisme, et de fatalité qui n’était pas à l’ordre du vocabulaire. Mais, ça ne voulait rien dire. Des mots pour berner les foules qui ne pensaient déjà plus. « Transcende-toi », c’était meilleur. Il fallait de bons appuis. Il ne s’agissait pas d’un veilleur de nuit qui me reprochait de ne pas avoir fait le bon choix électoral. Le choix, je l’avais fait dans mon cœur et dans les urnes. J’avais foi en ce pays. J’étais heureuse de voter pour quelqu’un qui me faisait vibrer pour la première fois en politique. Quelqu’un dont je sentais qu’il pouvait me représenter. Mon humanisme et tout ça. Ma candeur. Mon innocence d’enfant. Alors, que les gens étaient tous endormis. Comme shootés. On disait des religions qu’elles étaient l’opium du peuple. Mais, c’était l’inverse. Là, je me sentais bergère aimant ses brebis, les guidant quand elles ne voyaient plus rien. On ne pouvait pas diaboliser ce discours. Parce qu’il était vrai. Vraiment sincère. C’était juste une envie, un désir fou de changement. Le choix de l’intelligence, et je me retrouvais là-dedans. Appuyer, soutenir. Demander explicitement à ce que ça ne s’arrête pas là. Je me retrouvais dans cette voie. Je voyais juste. Il y avait eu un appel, et j’y répondais. Mais, cette lettre que je devais écrire, il fallait que je l’écrive. Cette lettre de soutien « plus personnelle », comment commencerait-elle ? Je me faisais l’incarnation de Boris Vian à présent : « Monsieur le président… ». Celui-là, je ne l’avais pas encore mis en musique…


Ma chère future présidente,


Il y a des années, je me souviens, c’était la fin du monde, ma mère avait envoyé une lettre de soutien au général de Gaulle. Il y avait répondu, et ma mère avait encadré cette lettre qu’il lui avait adressée personnellement. Mais, ces larmes quand il est mort, petite, rêveuse, insouciante que j’étais, je m’en souviens encore.


Je n’ai pas encore le goût de l’histoire. Seulement, mon engagement poétique m’incite à m’intéresser davantage. Et comme dans le film de Gus Van Sant, « Will hunting », je me suis dit et redit, après votre montée, votre ascension trop courte : « Ca n’est pas ta faute. Ca n’est pas ta faute… Ca n’est pas ta faute !... ». Comprendre les rouages de l’histoire de l’humanité. Quand j’étais petite, dix ou douze ans, je m’étais dit : « Je pourrais tout faire dans la vie, sauf être homme politique ». Je m’en souviens très bien – c’était la même logique qui m’a conduite à me dire : « Je ne pourrais être une virtuose classique. Mes amies ont un piano. Elles connaissent le solfège » C’est après que je me suis tournée vers la chanson intimiste, introspective, et attendre l’âge de 27 ans pour assumer mes compositions en public. Avant, tout restait caché, comme honteux. Ca venait de moi, mais je n’avais pas la force d’assouvir cette voie intérieure. C’était tout simplement trop intime. C’était avant que la chanson ne devienne intimiste. C’est une parabole, vous l’aurez compris. Peut-on parler d’avant-gardisme dans mon parcours ? Je le crois.


Cette première prise de conscience, c’est qu’en mon cœur d’enfant, les politiques étaient tous véreux. A l’époque, on n’aurait jamais imaginé avoir une femme endosser ce genre de fonction. Ca aurait changé la face du monde. Je ne peux que citer cet ouvrage d’anthologie féministe de Virginia Woolf, et son sublime et inaltérable « Une chambre à soi », sur l’histoire de la littérature des auteurs femmes anglaxonnes, où elle expliquait qu’il faudrait, à cause des atavismes, cent ans pour une femme pour pouvoir être à la cheville de son grand frère William Shakespeare. Oui, il s’est bien passé quelque chose lors de cette campagne. Vous avez su gagner le cœur d’une grande majorité de français, mais le quotidien Libération a bien raison quand il a écrit, au lendemain du second tour, que vous aviez manqué de temps, et manqué de soutien à l’intérieur de votre propre parti. C’est injuste ce qu’ils ont dit, dans cette horrible et scandaleuse mise-en-scène médiatique, manipulation est le mot qui me vient, et ce, à l’extérieur de vos propres partisans. Il vous faut vous faire aimer. Cinq ans seront bien assez pour ça. Si vous continuez, contre vents et marées, à ne pas vous laisser « ensevelir » ou « disparaître », comme beaucoup de membres de votre parti semblent vouloir le désirer. Jalousie intestine. A vomir, horrible à regarder, même de loin, pour quelqu’un que vous avez su faire vibrer au nom de ce credo qui m’est cher : « Aimons-nous les uns les autres ». L’avenir de la politique sera spirituelle, ou ne sera pas. Elle sera culturelle, ou ne sera pas. C’est un vivier de force vive qui permettra aux gens de se reconnaître. Appuyez-vous sur lui. Votre peuple. Car, c’est à travers vous que cela doit se passer, parce que vous avez su fédérer. Vous avez eu le temps de le montrer. C’est votre personnalité, votre charisme, faits d’authenticité, de sincérité, et votre détermination qui veulent cela. Ah, comme « cela » est un mot qui vous est cher ! Tout comme cette formule sublime dont vous êtes la détentrice absolue : « Toutes celles et ceux… ». J’aime cela, non pas que je sois fondamentalement féministe, mais vous dites des choses sur les femmes libres, et cela me touche. Vous incarnez un espoir pour les femmes qui manquent de confiance pour assumer leurs convictions qu’elles sont, qu’elles devraient être « l’égal de… ». De quoi, de l’homme ? C’était un peu le débat sous-jacent. Vous me comprenez bien : avec votre discours, votre humanisme, votre envie réelle de défendre les plus déshérités, victimes du pouvoir en place, endormeur de foule, et si vous aviez été un homme ? Ma conviction intime est que vous seriez « passée ». Que vous seriez non seulement notre président de cœur et d’aspiration, mais notre présidente tout court. Et vraiment, vous le seriez. Mais, ne l’êtes-vous pas déjà ?


Vous savez comme moi, que les femmes, elles ne le sont pas, je veux dire : l’égal de l’homme. La parité est un combat. Elles ne le sont pas encore. Mais, je vous assure que j’ai fait mien ce credo de Virginia Woolf. Bien sûr, il s’agit là de mes convictions personnelles, mais quand vous avez parlé de ces femmes seules, oui, je vous l’avoue, tout cela m’a touchée au cœur. Car j’ai le sentiment d’une profonde injustice. Et je vous admire d’avoir eu le cran, « l’audace » comme vous dites, de tenir, et d’afficher cette maximum sérénité lors de l’annonce de votre défaite. Ce sourire de vainqueur ! Vous étiez portée par les gens, vos sympathisants, ceux que vous avez su convaincre. La moitié de la France, pour une femme, c’était sans précédent ; et ça n’est pas rien. Mais voilà, vous étiez une femme. C’était un handicap. Une force aussi. Je vous ai vue, lors de votre meeting, incarner la drôle de fonction de « maman des français ». Ca leur faisait bizarre aussi, mais souvenez-vous de leurs mains tendues. Comme vous incarniez l’espoir de ces femmes et de ces hommes, prêts à croire que tout était possible. Ca n’était pas seulement des mots. Ils vous ont galvanisée. J’étais dans cette tranche de gens, cette foule compacte à l’extérieur du stade, déçue de ne pouvoir vous voir, le stade était comble à quatre de l’après-midi, même si le meeting ne commençait qu’à 5 heures. Comme la foule des arrivants tardifs - Les trams étaient bondés, alors nous marchions, sereins, confiants, vers vous, la fleur au fusil, en somme… - désireux de vous soutenir, se faisaient encore plus denses, je me suis désolidarisée. J’avais peur de me sentir défaillir, comprimée que nous étions tous par la masse des personnes, venues pour vous soutenir vous, de partout, incarnant un certain espoir de la France : le combat pour la vie.


Cependant, il fallait trouver un autre chemin. J’ai fait le tour du stade. Je devais être là, présente pour témoigner. C’était mon premier meeting politique. J’ai quarante trois ans. Des manifestations, j’en avais fait, mais être là à vous écouter, je le devais. Impérativement, comme un ordre de l’au-delà qui m’était adressée personnellement. Et combien étions-nous à sentir cet appel personnel ? Non, il n’y avait pas d’autres mots. Je devais être là. C’était un ordre, une intime conviction. J’ai contourné le stade. Tout était bloqué, même le petit parc qui donnait sur le stade. Tout était verrouillé, policé, rendu impossible d’accès par le service d’ordre et de sécurité. Même le petit parc surplombant les grandes portes d’entrée du grand stade étaient gardées. L’entrée des artistes, ils ne m’auraient pas crue. Ma voix est trop petite encore. J’ai laissé tomber. Je suis allée dans le cimetière. Des sympathisants fous sautaient le mur du cimetière, parmi les tombes, au péril de leur vie – mais pourquoi donc ? C’était un espoir fou. On n’avait pas accès au stade Charléty par là. Parce que là, c’était le cimetière. Ils se faisaient courser par des CRS. Pas d’incident : ils étaient juste reconduits à la sortie du cimetière. Pourtant, en contournant, par derrière, il y avait un autre stade, plus petit, en contrebas. Un grillage était ouvert. Les gens s’engouffraient. Beaucoup remontaient : ça semblait impossible. Il y avait un escalier. Au bout, la porte, qui menait au petit stade, était fermée. Des sympathisants s’étaient organisés. De l’autre côté du mur, haut d’au moins trois mètres, certains avaient rassemblé des palettes de chantier. Vous savez, en bois. Ca faisait comme des échelles pour accueillir les gens désireux d’accéder « par tous les moyens ». Des enfants pleuraient, qui ne pouvaient pas. Le mur était haut, et le grillage haut d’au moins un mètre cinquante et très serré. Une chaussure bien faite n’avait pas de prise. L’espace était trop petit pour y insérer une semelle dite normale. Ca semblait fou, impossible. J’ai renoncé un temps. J’ai continué de faire mon tour, mais rien. L’accès semblait impossible ailleurs. Des queues, mais des « nons ». Je n’avais pas de carte de service presse. Quelque fois, on voyait la porte grillagée s’ouvrir. Je n’avais pas ce pouvoir-là. Je suis revenue sur mon lieu du crime. J’ai pensé : quoi ? Toi, qui as rencontré les plus grandes stars artistiques en ce monde, en ne te fiant seulement qu’à tes antennes pour rendre la chose possible, l’échange peut-être, tu ne peux pas ? Chaque fois, je me disais : « C’est par là… Je dois, je sens, je peux accéder… Vraiment, j’ai fait des choses folles, avec mes antennes… C’est la culture rock. Faire des choses impossibles… On se désinhibe. Je continuais le monologue intérieur : « Quoi ? Toi, tu n’arriverais pas, alors que l’enjeu est si fort ? Non ! ». Je me suis engouffrée. J’ai pris mon tour. Tout le monde voulait s’approprier pour soi-même cette rampe d’escalier en pente. Quelqu’un a prononcé, un saint, je suppose, ce qui m’a redonnée l’espoir : « Il faut mettre son pied en travers ». Il voulait dire engager son pied en travers pour pouvoir avoir suffisamment d’hauteur pour surmonter le grillage. Je me suis dit : « Quoi ? Moi qui pratique le sport une fois par jour – le volley-ball et un club adorable a été le détonateur de cette pulsion de vie et d’énergie – parce que la situation est si tendue que tu ne peux plus vivre sans le sport ? Toi, qui as déjà fait tant de choses impossibles, tu ne pourrais pas surmonter cet exploit, le vertige du vide ? Je n’y crois pas : aurais-tu peur ? ». Je voyais des mamies qui passaient le cap, animées d’une ardeur politique, toute républicaine, qui dépassait le simple fait de vouloir « voir et assister à un concert gratuit ». Nous étions au-delà. J’ai pris mon tour : je m’accrochais longtemps au grillage pour sentir que c’était le moment pour moi de tenter la chose impossible. Mes bras étaient fatigués. Mes pieds glissaient sur la rampe, à mesure que je laissais les autres aller. J’ai attendu mon tour, et je suis passée, et c’était fou de voir à quel point les choses étaient faciles à ce niveau. Sans doute, j’avais une bonne constitution physique. C’était facile en fait. Je l’ai dit aux autres : « C’est plus facile qu’on ne pense ! ». Je me suis retrouvée sur le sol du petit stade de Charléty. J’ai couru. J’avais peur qu’on nous prenne, qu’on nous arrête. Qu’on nous foute des menottes, du genre : « Sale resquilleur ! ». Mais, ça ne s’est pas fait. C’était là, le miracle. Et je suis sûre que par cette voie, des tas de gens ont eu la chance d’assister à votre discours. Ceux-là ne venaient pas, je vous l’assure, pour voir les « stars de la chanson rebelle en vogue » se produire dans un concert gratuit. La ferveur était tout autre. Mais, une fois arrivée aux abords du grand stade, un autre danger m’attendait : un mur haut de deux mètres, au moins. Surmonté d’un grillage, haut comme l’autre. Je n’avais plus peur. J’étais presque dans la place. Personne ne m’avait arrêtée et j’ai sauté. Tout en pensant : je suis folle, mais j’ai besoin d’être là. Il fallait cela. J’en étais digne et capable. Un peu mal au pied, en retombant dans l’enceinte du Stade Charléty. Mais, rien. Je ne sentais déjà plus la douleur, parce que j’étais dans la place ! J’avais réussi mon pari fou de vous soutenir, et j’étais dans la place ! Non pas dans les tribunes, mais Jane y était, et d’autres encore, et ça suffisait à faire exalter ma voie, ma voix. Mon ami Jacques, le photographe, qui s’était exilé en Bretagne pour se ressourcer, m’envoya un texto : « Vas-y ! Hurle, gueule ! ». Et ce fût ce que je fis, à l’unisson avec tous les gens présents qui vous attendaient plus que la musique elle-même. Les gens, je vous l’affirme, n’étaient pas là pour ça. Ils étaient venus pour vous soutenir, vous. Le gardien des VIP avait tort. Ces gens étaient rassemblés massivement pour vous. N’avais-je pas entendu dans la foule à qui l’on refusait l’accès : « C’est pas grave, chérie ! On n’en a rien à foutre de la musique. Il y aura des caméras. Ils diront qu’on était là massivement pour elle ! ». Je ne mens jamais. Je suis partie quand Bénabar a dû commencer à chanter. J’ai juste entendu la déclaration de Jane Birkin qui disait : «Il est des causes pour lesquelles on peut mourir. C’en est une ! », ou quelque chose d’approchant. C’était vrai. Et je suis fière de vous le dire, que ça vous aide, vous confirme dans votre intention de ne pas baisser les bras, mais au contraire, d’être et de continuer d’être là, comme vous l’avez dit dans votre formidable discours après l’annonce et l’acceptation du scrutin, le choix des français : « Le suffrage universel a tranché… », (ou quelque chose d’approchant).


Je crois en vous. Humaniste et poétique, je deviens politique à travers vous. La moitié de la France croit en vous. C’est une France duelle. Ca explique tout mais ça ne pardonne pas. Qui sont mes frères ? Ceux qui sourient, ceux qui tirent la gueule. Arborez un tee-shirt : « Oui » sur le devant, comme une fierté, pour vos sympathisants. Les « nons », l’auront dans le dos – pour ne pas dire autre chose, le poète ne se refait pas. Il est, comme il vit, il dit.


Je pleurais samedi en laissant un message sur le répondeur vocal de mon amie Elise. Elle le comprit, et le lendemain, m’exhortait à « continuer d’espérer ». Mais, je savais déjà que c’était foutu. « Plié », comme on l’a écrit, et comme si tout s’était su à l’avance. Fatalité ? Non ! Dans mon message, je disais : « Si « l’autre » passe, moi je passe dans la résistance ». C’était le samedi, j’en pleurais, et cette possibilité de résister, « avec et près » de vous, comme vous l’avez dit si bien lors de votre discours (allons, vous n’avez pas commis que des erreurs dans cette campagne, si présenter un nouveau visage dans la politique où des a-potiliques peuvent se retrouver dans une ardeur républicaine, et se mobiliser…). Non, vous n’avez pas commis trop d’erreurs. Vous avez corrigé l’éducation. Vous auriez dû peut-être axer davantage votre programme sur la culture, et cela vous l’avez senti lors du meeting du premier mai, l’absence d’une clause en faveur de la culture, la culture, source de lumière.


Les artistes vous soutiendront et pas des moindres. Vous l’avez senti à ce moment-là. C’est ce que j’appellerai l’unique alternative. Et vrai, je donnerai corps et âme. Ce fût comme renforcé par le fait, je l’ai lu dans un canard obscur et sans doute gratuit, que vous étiez fan de Jeanne d’Arc. Je comprenais cela dans votre force : la dimension mystique. Il y a un halo au-dessus de votre tête. Une force supérieure – c’était visible dans le débat télévisuel – dont les âmes éclairées peuvent se dire : elle est. Elle incarne. Elle en est, même si la chrétienté n’est pas à la mode, à cause de faux discours, de faux sermons émanant d’hypocrites, sans réelle grâce. Et ça, je tenais à vous l’écrire : Dieu est avec vous et confère à votre force. Votre détermination, votre sourire de perdante mais qui vous rend vainqueur. Oui, c’est une victoire, même si tout vous paraît, peut-être à ce jour, défaite. Il faut du temps pour asseoir toute chose qui vient du cœur, de l’âme. L’obscurantisme est grand. Cette élection était manichéenne. Vous étiez le bien, dans le discours pur du Christ. Je vous remercie de cela. Ca ne doit pas devenir un cheval de bataille pour une campagne, mais, je suis heureuse que cette voix s’élève, avec dignité, car c’est le mot qui a collé avec votre pseudo défaite. Tout arrive en son heure. Ma vie me l’a enseignée. Vous êtes et vous serez présidente de la république. A défaut, ma république à moi. Avec ces idéaux que j’ai envie de défendre : « Liberté, égalité, fraternité ». Il y n’y a pas d’autres lois, d’autres concepts plus forts. Je les préfère à ces autres, si entachés de sang : « Travail, famille, patrie », même si tout résonne. L’important, c’est la bouche qui les assène. La bouche et le cœur doivent parler ensemble. Dans votre bouche, au vu de votre pureté, la grandeur de votre idéal, ils pourraient sonner comme un nectar, une ambroisie d’idées. Mais pas dans certaines autres bouches… Tout reste à voir. C’est cette sincérité qu’il vous faudra faire valoir. La bouche et le cœur ensemble, comme un slogan. Une bannière. Traduisez cœur par âme et vous entendrez ce message de l’extrême gauche : « Ségolène : transcende-toi ! ». Foutu credo pour votre vie, vos croyances, et ma vie même. Cette vie que je vous donne. Il m’importe peu en effet de vivre dans ce monde-là. Je préfère mourir que d’avoir à subir cette farce de vie, ces mots creux qui donnent la nausée. Mourir, pour vous, je le veux bien. Ces mots, vous le comprendrez, ne sont pas à prendre à la légère. Car il est des causes, incarnées par certaines gens, paraphrase de mon ami Eric, dans l’une de ses chansons – « Du fond de l’âme », qui sont intrinsèquement pour la vie. D’autres amènent la mort, et je ne suis pas de ce camp-là. Nous sommes dans la mort depuis si longtemps. Non, vraiment, Ségolène, continuez de rester près de nous. J’ai un problème avec les contres au volley : je suis trop petite pour atteindre le haut du filet et contrer les attaques. Sachez simplement que ma force, dans ce sport collectif, de ballon qui s’élève, est que je défends bien. Je « saute sur toutes les balles, même celles perdues d’avance ». Métaphore… Métaphore de Jeanne ! !


Et moi, je suis sous cette bannière-là, comme Rimbaud, en mai : « Non, j’ai pas pleuré, j’ai écrit ! ».


Bienveillamment,

Jeanne MORISSEAU


Chronique 0 : Chronique d’intention

Site officiel de Pascale Jeanne Morisseau, relayant l’actualité de l’association Dinosaurs et ses partisans : www.pascalejeannemorisseau.com

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Pour préciser, Dinosaurs est l’association dont je suis présidente depuis 1996.


« Chansons partisanes » est une nouvelle rubrique. C’est un projet participatif. La mise-à-jour du site sera régulière, et fonction des moyens de diffusion dont je disposerai. TOUT LE MONDE PEUT ECRIRE. A condition d’être en accord avec mon éthique personnelle, ou celle de mes collaborateurs : humanisme, pacifisme, et transparence sont des mots que j’aime. En d’autres termes, trois valeurs sûres, une bannière extraordinaire : Egalité, Fraternité et Liberté !


D’autres rubriques vont se créer… A vous de surveiller tout ça, ça sera comme un feuilleton mais poétique. Vous verrez bien, si vous êtes curieux, bien évidemment…


A part ça, après la sortie de mon album « T’es ma branche » (automne 2006), je sors, au printemps, « Le duo des poètes – Volet I », un album d’essence poétique, où Arthur RIMBAUD rencontre Patrice de la TOUR du PIN… Tout est écrit, et présenté lisiblement sur pjm.com, et « tous seront sur le site »…


Je vous remercie de votre attention.

Pascale Jeanne Morisseau